Les défis auxquels fait face le communisme aujourd’hui
Cet article, traduit du perse à l’Anglais, puis de l’Anglais au Français, est une version abrége d’un article plus long publié dans l’organe du Parti communiste d’Iran, Komonist n° 63, en septembre 1991. L’auteur y explique ses raisons pour quitter le PCI et sa direction pour travailler à la création d’un parti communiste-ouvrier. Sous cette forme abrégée, il a été publié en Perse dans le journal du Parti communiste-ouvrier d’Iran, International n° 1, février 1992, puis dans le 1er numéro de l’édition anglaise de ce journal en Août 1992.
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Ces dernières années ont sans aucun doute été une période décisive dans l’histoire du 20e siècle. Nombre de celles et ceux qui ont connu la révolution de 1917, la montée du fascisme ou les deux guerres mondiales, ont considérés ces événements comme de simples «actualités», même si leur vie quotidienne a été inévitablement marquée par ces événements historiques. De la même manière, il se peut que bon nombre de gens de notre génération ne comprennent pas la signification historique de la période actuelle. Le futur montrera combien la société humaine a changé, combien le profil économique, politique et intellectuel mondial a changé; comment la conception que l’Humanité se fait d’elle-même et de son destin s’est transformée.
Nous vivons une période de rupture historique fondamentale. D’où que nous venions et quoique nous fassions, les événements de ces dernières années modifient nos conditions de vie et redéfinissent le cadre de nos luttes sociales et de celles des générations futures. Les guerres des cinquante prochaines années, les difficultés auxquelles l’Humanité devra faire face, les défis sociaux, politiques et intellectuels auxquels des millions de personnes vont dédier leurs vies, l’image que le genre humain va projeter de lui-même dans l’art, la culture et la littérature, la psychologie individuelle et sociale des gens, leur espoirs et leur craintes économiques et politiques, leurs conceptions morales et philosophiques, vont porter la marque des événements dont nous sommes aujourd’hui les témoins. Exactement comme les résultats politico-économiques et intellectuels ont modelé les vie des deux dernières générations, de l’Europe industrielle t des USA jusqu’aux régions les plus reculées et les plus arriérées, les développements actuels vont affecter la vie des générations futures dans tous ses aspects.
«L’Occident a gagné la troisième guerre mondiale sans tirer un seul coup de feu», ont déclaré certains analystes occidentaux. En fait, l’histoire réelle de plusieurs décennies de conflits entre les deux camps de cette «troisième guerre mondiale», y compris sa phase finale durant les dernières années, n’a été rien d’autre que la mort, la pauvreté et la privation de droits pour des milliards de personnes. Cela seul suffit à faire de la proclamation qu’«aucun coup de feu n’a été tiré»un non-sens. Néanmoins, ce qu’il y a de vrai dans cette affirmation doit être reconnu, en l’espèce, que ce qui se passe est comparable à la fin d’une troisième guerre mondiale et que son impact sur l’histoire contemporaine doit être compris.
Les développements historiques se déroulent à des niveaux variés. L’aspect le plus tangible et immédiat de ce processus est la désintégration du bloc de l’Est et la destruction du système politique, économique et idéologique qui le définissait. De manière simple et évidente, l’Ouest a gagné la bataille qui opposait deux camps bourgeois, l’Est et l’Ouest. De même que pour chaque victoire précédente d’une puissance bourgeoise sur une autre, nous sommes témoins d’une désintégration politique et géographique, d’une subjugation économique et d’une subordination idéologique du camp des perdants. De l’annexion de ses terres à l’invasion de ses marchés, du changement de son système politique et administratif, de l’ouverture de ses portes aux valeurs culturelles et éthiques du vainqueur, tout cela sont les marques classiques de la victoire d’une puissance bourgeoise sur une autre. Ce qui n’est pas du tout «classique», par contre, c’est que le camp vaincu a été l’un des pôles d’un système bipolaire qui durant un demi-siècle a dominé l’ensemble des caractéristiques de la situation politique mondiale. Politiquement, le monde entier a été modelé sur la base de ce système. C’est pourquoi la fin de cette polarité change complètement l’équation politique et économique, non seulement dans le bloc de l’Est, mais dans le monde pris dans son ensemble.
Dans le bloc de l’Est lui-même, les développements les plus frappants sont en train de prendre place. La victoire du marché a répandu la pauvreté et l’insécurité économique pour les travailleurs. Une lutte intense s’est développée autour des nouveaux modèles économies et des structures politiques. D’un autre côté, la désintégration d’un espace politique et administratif clos a activée toutes sortes de mouvements sociaux, des plus progressistes et révolutionnaires aux plus archaïques et aux plus réactionnaires. Aux côtés d’un mouvement ouvrier qui présente de nouvelles revendications, de nouvelles formes de protestation, le nationalisme, le fascisme et la religion sont revenus au premier plan.
Dans cette partie du monde dominée et arriérée connue comme le «tiers-monde», où les problèmes ont été directement liés aux confrontations internationales, une redéfinition fondamentale des enjeux est en cours. Soudainement, des solutions sont trouvées pour de vieux problèmes, tandis que de nouveaux, et plus complexes, sont en train de surgir. Les forces sociales sont placées face à une situation fondamentalement transformée. C’est ce qu’on voit clairement en Palestine, en Afghanistan en Ethiopie, au Cambodge, dans différents pays d’Amérique centrale et du Sud, et dans les principales aires de conflits en Afrique. Le nationalisme, la religion, le libéralisme, le réformisme et le radicalisme sont placés dans une configuration complètement différente d’auparavant. Les perspectives pour le développement économique dans cette partie du monde ont changé une fois encore. La désintégration de l’Est et l’ouverture aux capitaux de l’Ouest ont créé un engouement pour un développement orienté vers l’Occident et l’intégration au marché mondial pour les pays asiatiques africains et latino-américains.
Mais les aspects les plus important et, à long terme, les plus décisifs de la désintégration du bloc de l’Est sont les inévitables développements futurs dans l’Ouest victorieux. L’entité politique, économique et idéologique appelée «occident» ou «monde libre», qui s’était définie comme contrepartie du bloc de l’Est, va inévitablement changer, comme résultat de la disparition du pole opposé. L’Ouest doit se désintégrer comme un bloc global. A structure politique et idéologique qui lui a donné son identité unifiée va devoir être revue. Non seulement de nouvelles formations militaires, politiques et économiques, mais aussi un nouveau système compatible avec le capitalisme après la fin de la confrontation «Est-Ouest», vont prendre place. Le monde capitaliste marche vers une révision totale de sa formation économique, politique et culturelle. La nouvelle période historique ne sera pas faite de stabilité, d’ordre et de clarté, mais d’instabilité, de désordre et de confusion.
Même si nous voyons cette question comme un «règlement de comptes» historique entre blocs bourgeois, il manque la moitié de l’image. La fin de la «troisième guerre» entre blocs bourgeois, est accompagnée d’une attaque significative de la bourgeoisie toute entière contre la classe ouvrière. Les vainqueurs et les vaincus sont unis pour proclamer la «fin du communisme». La victoire de l’Ouest est célébrée, non seulement comme une victoire sur un bloc militaire, politique et économique rival, ou comme celle du marché sur l’économie étatisée, mais avant tout comme une victoire sur le communisme. Cette formule est, en partie, le legs idéologique de l’offensive finale de l’Ouest contre l’Est entreprise par Reagan et Thatcher. C’est la contribution spécifique de la Nouvelle droite en Europe occidentale et aux USA dans les années 80 à la confrontation Est-Ouest. D’un autre côté sa caractérisation, par l’idéologie occidentale officielle, comme une bataille de la démocratie et du marché contre le socialisme et le communisme est le drapeau d’une nouvelle série d’attaques contre le mouvement ouvrier. Cela montre que du point de vue de la bourgeoisie, le processus de règlement de leurs combats internes doit se terminer par des gains significatifs dans la guerre de classe qui a continué de se dérouler en même temps.
C’est le côté obscur des développements internationaux récents, qui augure d’un cauchemar horrifiant pour l’Humanité toute entière. Pour nombre d’analystes naïfs des événements récentes, parmi les gauchistes ou ex-gauchistes, ou pour des intellectuels à l’humanisme borné, le monde va vers la paix, l’harmonie, la liberté et l’humanité. Tous placent leurs revendications nationalistes, libérales et environnementales, aux pieds du capitalisme. De telles illusions naïves sont autant d’indications d’une perception anhistorique des développements récents. Les attaques actuelles contre le communisme ne sont pas contre un groupe particulier, contre un parti, ou encore un système politique et administratif. Ce sont des attaques contre l’Humanité, l’égalité et la liberté en général, et contre le mouvement de la classe ouvrière pour la réalisation de ses aspirations en particulier.
Leur objectif est de proclamer l’immortalité du capitalisme et la futilité de toute forme de protestations de la part des masses opprimées. C’est une offensive contre les attentes humaines, contre l’espoir des gens de prendre le contrôle de leur propre destin, contre toute notion de responsabilité de la société envers l’individu, et contre l’idéal d’une égalité légale, politique et économique. C’est une offensive pour supprimer toute forme de limitation et mettre un frein aux idées socialistes et à deux siècles de luttes quotidiennes de la classe ouvrière contre l’exploitation et le pilage du capital. Si la bourgeoisie réussit dans son offensive contre le communisme et repousse les critiques socialistes, le mouvement socialiste, dans les marges, l’alternative réelle auquel le monde devra faire face ne sera rien d’autre que la barbarie enveloppée dans le papier-cadeau de la technologique. Le résultat, ce sera l’atomisation des travailleurs et des citoyens vis-à-vis du capital, de ses institutions politiques, économiques, administratives et de leur propagande. Cela ridiculisera tous les idéaux humains comme ridicules et inatteignables. Les applaudissements quand tombent les statues de Lénine ne sont seulement une marque d’hostilité face à un bloc de l’Est paralysé et défait. Ils font tomber Lénine comme un symbole de la tentative insolente de Lénine contre la sainteté du Capital; le symbole de la lutte des masses laborieuses pour changer le monde.
Même sans cette offensive contre l’humanité travailleuse, le monde d’aujourd’hui est plutôt sombre pour quiconque se soucie de la dignité et des droits du peuple. Dans les centres industriels, les rangs des chômeurs augmentent. Les divisions de classes se creusent. La sécurité sociale et le bien-être des gens a dramatiquement diminué. Une famille ouvrière ne peut survivre sans deux boulots. Les organisations ouvrières, même le mouvement syndical qui a depuis longtemps cessé d’être une menace pour l’ordre bourgeois, est réprimé et perd ses moyens d’agir. L’individualisme et la compétition ont été acceptés comme des normes fondamentales et indéniables de la société. L’aspect général de cette société, tel qu’il est reflété par les intellectuels en particulier, l’intelligentsia, les penseurs et les créateurs d’images de la bourgeoisie, a dramatiquement glissé vers la droite. Les idées libérales et réformistes des années 60 / 70 ont été déclarées invalides et repoussées dans les marges. L’existence d’un vaste nombre de personne vivant sous le seuil de pauvreté aux USA et en Europe est maintenant considérée comme quelque chose d’acceptable. Le néo-fascisme et le racisme sous des formes variées sont revenus sur la scène. La révolution technologique n’a pas seulement amélioré la domination économique du capital sur les travailleurs, mais il l’a aussi pourvu de nouveaux moyens de préserver sa domination politique. A côté de l’armée, des tribunaux et des prisons, l’expansion des mass medias occupe une position unique dans la sécurisation du contrôle politique de la bourgeoisie. La duperie systématique et l’intimidation des individus isolés dans leurs foyers, le bombardement constant de la société par une propagande exposant la vision bourgeoise du monde, de la société et de l’Homme, est devenue une précondition intégrale et indivisible de la survie des démocraties occidentales (la dictature parlementaire de la bourgeoisie.
En dehors du monde industriel, l’insécurité économique sociale et politique règne sans partage. La perspective e la croissance économique, pour ces pays, est sombre, et dans nombre d’entre eux la lutte quotidienne contre la pauvreté et la famine est le moyen de vivre pour la plus grande masse de la population.
L’importance de la dette extérieure du «Tiers-monde» au pays occidentaux et de leurs institutions financières a atteint des dimensions incroyables. Dans certains, plus de 80 % du revenu généré par la croissance économique est dépensée en payement des intérêts de cette dette, un fait qui selon des estimations officielles, a pour résultat cinquante millions d’enfants morts chaque année (un toute els deux secondes) et ne laisse, pour celles et ceux qui survivent, que la pauvreté, l’absence de logement, la prostitution et la dépendance à la drogue. Des milliards de gens, dans ces pays, se voient déniés les droits miniums nécessaires pour diriger leur société et influencer leur destinée économique et politique. Les régimes bourgeois répressifs, et les crimes politiques commis par l’état ou de manière para-étatiques contre la classe ouvrière et le mouvement ouvrier, sont la marque de fabrique des systèmes politiques de ces pays. Dans la plupart, toute tentative d’organisation socialiste ou syndicale est un crime passible de peines sévères. Le statut des travailleurs, comme citoyens de seconde classe, comme vendeurs de travail pas cher, est de plus en plus confirmé dans l’économie politique du monde actuel.
Cet apartheid de classe à l’échelle globale, qui classe les gens selon leur «valeur» pour l’industrie, est renforcé par la montée de nouveaux systèmes idéologiques réactionnaires. Le poids de la stigmatisation pour la pauvreté, pour ne pas avoir de boulot ou de logement, ou de médecine de base, d’instruction ou de sécurité sociale, ont glissé de l’individu à la société. Le concept de droit, politique ou économique, est de nouveau étroitement lié à la propriété. Les mouvements nationalistes et religieux trouvent un terrain d’action ouvert. Avec la sanctification du marché, du capital et de la propriété capitaliste, l’interventionnisme militaire à l’échelle globale et son cadre de pensée raciste et eurocentriste sont revivifiés et baptisés sous la bannière du Nouvel Ordre Mondial.
Pour un communisme qui n’a pas revu ses idéaux d’égalité et de liberté pour tous et toutes; pour un communisme qui est le mouvement critique-pratique des travailleurs pour transformer d’un bout à l’ordre bourgeois arriéré et inhumain, pour un communisme qui est témoin des attaques actuelles contre le marxisme et les idées et les mouvements de la classe ouvrière, l’ère actuelle pose une longue liste de défis intellectuels et politiques. Nous devons faire face à ces défis. Et il y a tous les signes qu’une victoire des travailleurs et du communisme est possible durant cette même période. Le monde entier est dans un processus de reconsidération majeure de ses fondements économiques, politiques et intellectuels. Le communisme-ouvrier, libre du poids des blocs socialistes bourgeois, a une grande opportunité de mettre en avant, de manière directe, sa vision critique et son alternative sociale. La globalisation du capital et de la production industrielle a transformé la classe ouvrière moderne en une véritable classe globale. Les protestations ouvrières contre les politiques des gouvernements et des employeurs et pour l’amélioration de leurs conditions de vie continue dans nombre de pays. Les courants traditionnels au sein du mouvement ouvrier, particulièrement les syndicalistes et les sociaux-démocrates, ont montré leur incapacité à étendre les organisations ouvrières et à mener les protestations ouvrières à la victoire. En dépit de toute cette agitation, de toute cette propagande anti-communiste, aujourd’hui les courants socialistes radicaux au sein du mouvement de la classe ouvrière ont de bien meilleures possibilités aujourd’hui d’attirer les travailleurs à des politiques et dans des organisations radicales.
Pour les communistes, il y a beaucoup de choses à faire. Et il y a beaucoup qui peuvent être faites. Une victoire complète et une défaite complète sont également probables. Les défis majeurs sont globaux et n’ont pas de caractères spécifiquement liés à un pays, bien qu’il soit possible de proposer des conclusions spécifiques de tâches communistes dans chaque pays. Nos lignes de front sont connues, et le communisme aujourd’hui se distinguent par leur présence sur ces lignes de front. Non seulement nous devons défendre le marxisme contre l’offensive bourgeoise, mais nous devons aussi mettre en avant une critique marxiste radicale, la critique ouvrière du monde capitaliste, avec plus de force et de détermination qu’auparavant. Nous devons balayer les illusions démocratiques, nationalistes, libérales et religieuses et les critiques en demi-teinte de dissidents bourgeois sur des questions sociales marginales. Les rangs socialistes des travailleurs doivent être ralliés sur le champ de bataille des décisives luttes économiques et politiques d’aujourd’hui.
L’alternative ouvrière doit être proposée au monde. La forme et la structure des luttes des masses ouvrière radicales doivent être définies et étendues. Des partis ouvriers communistes radicaux doivent être construits. L’unité de classe internationale des travailleurs doit être mis au programme comme un problème pratique urgent.
Un véritable communiste, aujourd’hui, c’est celui ou celle qui comprend l’urgence de la situation actuelle et la signification de son propre rôle… Le communisme dans les marges de la société n’est pas le communisme. Etre sur la ligne de front de la résistance contre l’offensive mondiale de la bourgeoisie, pour la réalisation des idéaux humains et sociaux, organiser le front socialiste international des travailleurs dans ce monde turbulent, et travailler à la victoire du socialisme, voilà ce que c’est être un communiste aujourd’hui.
Mansoor Hekmat 1991
French translation: Nico
hekmat.public-archive.net #2180fr
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