Sous le voile de la répression
La tyrannie et la répression donnent inévitablement une image inversée des réalités politiques de la société. La chute de régimes dictatoriaux a toujours abouti à des conséquences autres que celles que les observateurs politiques avaient prévues sur la bases de leurs observations précédentes. Il est facile de comprendre que, dans une atmosphère répressive, le véritable caractère, la puissance et le programme des partis ou forces politiques, le rapport de force entre les forces sociales, la direction et le rythme des tendances politiques, et, plus significativement, les véritables inclinaisons politiques et sociales des gens des différentes classes sociales, ne peuvent trouver un reflet précis.
L’Iran sous le régime islamique est un exemple vivant d’environnement réprimé politiquement avec un profil politique erroné et des tendances cachées qui font l’histoire. En jugeant les apparences, les personnages politiques actuels et futurs de l’Iran devraient être des gens comme Khatami[1], Yazdi[2] et Sorrosh[3]. En apparence, «ouvriers» et «communistes» ne sont pas les forces présentes au centre de l’arène politique. Apparemment, ce qui détermine la réalité de l’Iran c’est le sourire de Khatami et les conditions de santé de Khamenei. Apparemment, les discours qui déterminent le futur de l’Iran sont des répétitions, encore et toujours, des catégories de la Révolution Constitutionnelle Iranienne [de 1905-191] et de la version sauce mollahs d’une «Maison de la Justice», qui noircissent les pages de ce qui semble être les médias «influents» diffusés par les cercles des penseurs apparemment alternatifs proches du régime lui-même.
Les journalistes et les fabricants de nouvelles, les professeurs d’études orientales, les experts des Etats occidentaux, les partis nationalistes, les tiers-mondistes, les groupes et groupements liés à l’Est qui s’étaient eux-même pendant longtemps décrits comme communistes pour des raisons indépendantes de leurs volontés, tous ont les yeux avidement fixés sur cette scène obscure, cette image déformée, et en tirent leurs conceptions, croyances et inspirations. A les croire, l’Iran se trouverait au seuil d’un nouveau salut islamique! Des mollahs domestiqués, avec un Islam parfumé à l’eau de rose de la modernité, avec des musulmans pensant de façon suffisamment alternative et des pensées alternatives suffisamment musulmane, avec des lois tirées de l’Islam et un clergé suprême respectant les lois, voilà où est supposé aller l’Iran, par un processus graduel dépourvu de toute révolution ou perturbation, vers une deuxième république islamique. Voilà, selon l’esprit des marchands musulmans pratiquants du bazar et de leurs fils éduqués à l’occidentale, la soi-disant «société civile» que le peuple d’Iran désirerait depuis des siècles et mériterait. L’Iran est supposé se déplacer dans cette voie!
Pourtant, derrière le spectacle de cette extravagance, la véritable histoire se dirige dans une direction différente. Il faut regarder plus loin, poser l’oreille au sol et sentir les tremblements sous les fondations de ce système réactionnaire. La bataille actuelle en Iran n’est pas entre un Islam dur et un Islam modéré ou entre la théocratie sous le règne du clergé ou le clergé suprême et la théocratie sous le règne de la loi, mais entre la liberté et la tyrannie, la réaction et l’islam sous toutes leurs formes. Pendant ce développement, des personnages de premier plan deviendront rapidement caduques et disparaîtront. Dans le camp qui s’oppose à la réaction islamique, nous ne trouverons donc pas les actuels petits réformistes, mais les rangs du communisme, de l’égalitarisme ouvrier, du démocratisme conséquent, qui est l’anti-religion, la laïcité, le modernisme et la libération complète des femmes. Voici les véritables tendances de la grande majorité des iraniens qui se cachent sous le voile de la répression aujourd’hui et travaillent pour construire le futur politique du pays.
Mansoor Hekmat
4 avril 1998
Note de la traduction:
[1]
Le soi-disant «Mollah souriant», figure du «mouvement réformiste» constitué au sein du régime, il fut président entre 1997 et 2001.
[2]
Secrétaire Général du «Mouvement pour la Liberté de l’Iran», organisation islamique-nationaliste non-cléricale dont l’ancien secrétaire général, Mehdi Bazargan, fut coopté par Khomeini pour former le premier gouvernement de la République Islamique. Ibrahim Yazdi fut ministre des affaires étrangères dans le gouvernement Bazargan. L’organisation fut poussée dans l’opposition contre sa volonté et seulement pour rester au service du régime, suite à la chute de son gouvernement après la prise du consulat américain à l’été 1979.
[3]
Abdolkarim Soroosh, professeur de philosophie d’extrême-droite islamique, un des principaux architecte de la soi-disant «Révolution Culturelle» de 1980 dont le but fut de briser la gauche dans les universités du pays et pendant laquelle des dizaines de personnes ont été tuées ou ont disparues suite aux exactions des brutes du régime. Avec d’autres fondateurs des organes répressifs, militaires et para-militaires du régime, il a rejoint le «mouvement réformiste» de 1997-2001.
Texte de Mansoor Hekmat, publié pour la première fois dans «Iskra» n°4 (organe du Comité du Kurdistan du Parti Communiste-Ouvrier d’Iran) le 4 avril 1998
Source: "La Bataille Socialiste" - Marxists.org
hekmat.public-archive.net #1320fr
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